Dans cette interview, Kaligirwa Bridget Kigambo, fondatrice et directrice générale du Girl Potential Care Centre et rédactrice en chef de Youth Scroll Local, explique comment son organisation dirigée par des jeunes utilise des bandes dessinées pour créer des visuels interactifs permettant aux adolescents et aux jeunes d'en savoir plus sur la santé sexuelle et reproductive (SSR) en Ouganda. En combinant des informations factuelles sur la SSR avec des couleurs vives, des scènes qui résonnent et un dialogue engageant, le Girl Potential Care Centre s'adresse aux jeunes avec des bandes dessinées et des programmes de SSR pour lutter contre la stigmatisation, éduquer les jeunes et fournir des solutions précieuses aux communautés pour lutter contre les inégalités telles que les faibles taux de fréquentation pendant les cycles menstruels en raison du manque de fournitures.
Brigitte : Je dirais que le Girl Potential Care Centre a commencé comme une simple organisation qui aide les jeunes des communautés à accéder facilement aux informations et aux services de santé sexuelle et reproductive par le biais de la défense des droits et de la sensibilisation. Cette organisation est née parce que j'ai été élevée par un père célibataire, qui se trouve également être en fauteuil roulant et vivre avec le VIH/SIDA. Ma famille et moi étions confrontées à beaucoup de stigmatisation et de discrimination à cause de ces deux maladies spécifiques dont souffrait mon père. Mon père a donc été obligé de me confier [et mes frères et sœurs] à des membres de l'église ou à des membres de la famille qui étaient prêts à nous accueillir, afin que nous puissions accéder facilement à l'éducation, avoir une bonne structure familiale et avoir accès à la nourriture dans ce qu'il pensait être une manière pacifique de nous nourrir. Donc, dans mon cas, je me suis retrouvée à l'église chez un parent, qui est une église adventiste du septième jour.
Et dans ce contexte, en tant que jeunes, surtout avant 13 ou 18 ans, nous n’avions pas le droit de parler de sexe ni même d’avoir des petits amis, ni même d’en parler ou de poser des questions à ce sujet. Si vous le faisiez, vous étiez soit étiqueté comme un enfant gâté ou un enfant immoral selon la Bible. Ou alors vous étiez puni de différentes manières. … Il était donc plus facile pour moi d’accéder à ce genre d’informations ou d’avoir ce genre de conversations avec mes camarades à l’école.
La plupart de mes camarades avaient à l’époque le même environnement familial, ou presque, et il était donc difficile d’accéder à l’information. … À cette époque, j’ai eu l’occasion d’être un leader, en tant que ministre de l’information et de la bibliothèque [dans mon école]. Et cela m’a donné l’occasion d’accéder à des documents ou des ressources qui enrichiraient mes connaissances en matière d’éducation sexuelle. J’ai choisi d’utiliser des bandes dessinées et des dessins animés.
Après le lycée, bien sûr, j’ai poursuivi mes études à l’université ou dans l’enseignement supérieur et je voulais devenir architecte, ce que je suis aujourd’hui. Être à l’université était un peu excitant. J’étais super excitée à l’idée de pouvoir avoir un petit ami. Je pouvais parler d’éducation sexuelle… mais ensuite, j’ai réalisé que je n’étais pas très bien exposée aux informations. Il était donc facile pour moi d’être induite en erreur ou de faire des erreurs en matière d’éducation sexuelle, de santé sexuelle et reproductive. Et c’est ainsi que j’ai lancé [ce qui était d’abord connu sous le nom de] Fondation Brita Kigambo, qui n’était pas seulement destinée à soutenir les jeunes femmes qui n’ont pas accès à des opportunités d’éducation [afin qu’elles puissent] s’entraider, mais c’était aussi [une] sorte de communauté où les jeunes, en particulier les filles, s’asseyaient et discutaient de nos différents problèmes.
[Pendant le] confinement dû au COVID… nous avons dû trouver un autre moyen [de nous réunir parce que les dirigeants locaux ont restreint les rassemblements]. Nous avons présenté une formation sur la gestion de la santé et de l’hygiène menstruelles. La campagne s’appelait Donate a Pad (Faites don d’une serviette hygiénique), et nous avons travaillé avec nos parents et tous les autres sympathisants pour obtenir des fonds afin d’acheter du matériel de formation pour les filles. C’était un moyen facile pour nous de nous réunir et aussi d’avoir un moment pour partager des idées entre nous… non seulement nous avions des discussions entre filles, mais nous formions également des jeunes à la fabrication de serviettes hygiéniques réutilisables, ce qui… [était considéré comme un] besoin essentiel pour chaque fille chaque mois.
… le gouvernement local nous a permis de le faire et nous a demandé d’enregistrer l’organisation en tant qu’organisation communautaire (OCB)… et on nous a remis une lettre de sortie qui nous permettrait de nous déplacer d’une communauté à l’autre.
De communauté à communauté, nous avons travaillé avec les responsables locaux et les équipes de santé villageoises (VHT). Nous travaillions soit avec une église, soit avec une école, car elles ont de grandes enceintes et nous pouvions maintenir la distanciation sociale tout en assurant les formations. Ce furent les premiers programmes de sensibilisation communautaire que nous avons menés en tant qu'organisation communautaire et nous étions connus sous le nom de Girl Power Connect.
Nous cherchions non seulement à résoudre des problèmes de santé reproductive, mais également à promouvoir la capacité des jeunes à négocier des rapports sexuels protégés et à participer à la fabrication de serviettes hygiéniques réutilisables qu'ils peuvent utiliser eux-mêmes ou vendre pour gagner de l'argent.
Brigitte : Je crois que les moyens par lesquels nous avons aidé notre communauté, en particulier les jeunes, ne se limitent pas à renforcer leur estime de soi, mais permettent également d’accroître l’accès aux informations de base sur la santé sexuelle et reproductive afin de poursuivre notre travail. … La plupart des femmes de la région de Rwenzori [en Ouganda] sont mariées jeunes ou, si elles ne le sont pas, elles se livrent à des activités sexuelles dès leur plus jeune âge par curiosité, mais aussi [parfois] par nécessité. …
Au Girl Potential Care Centre, nous n’avons pas diabolisé le fait que les activités sexuelles commencent tôt, mais nous avons également montré aux jeunes de nouvelles façons d’opter pour une seconde chance pour poursuivre leurs rêves. …
Nos programmes, en particulier la campagne Donate a Pad, n’ont pas seulement formé les jeunes à acquérir des compétences générales… [comme] gérer leur propre petite entreprise, apprendre à négocier des rapports sexuels protégés, ou même à défendre leurs droits [et] à s’exprimer, en particulier les jeunes victimes de violences conjugales.
Le Girl Potential Care Centre est connu pour avoir créé des bandes dessinées, Youth Scroll Lock, qui représentent des scènes de la vie quotidienne des jeunes en Ouganda afin de rendre les informations sur la santé sexuelle et reproductive plus accessibles aux jeunes. Les bandes dessinées utilisent un ton conversationnel et incluent une gamme de personnages, notamment des jeunes, des dirigeants communautaires, des enseignants, des parents et des professionnels de la santé.
Brigitte : Nous avons vu un appel sur Facebook qui cherchait à innover numériquement pendant le confinement [du COVID-19] pour continuer à œuvrer à la sensibilisation aux droits de l'homme. C'était un programme mis en œuvre par Laboratoire numérique des droits de l'homme et politique en 2021.
Nous avons postulé avec notre idée de partager des informations sur la santé et les droits sexuels et reproductifs par le biais de bandes dessinées, ce qui permettra aux jeunes d'accéder facilement à l'information. Étant l'un des quatre lauréats de cette année-là, nous avons reçu un prix de 10 millions de shillings ougandais (environ 1 400 000 dollars américains) qui nous a aidés à réaliser des enquêtes de base, à lancer le magazine numérique en ligne et à publier également notre première édition sur le genre et les droits à l'intention du public. Et depuis 2021, nous avons toujours publié des bandes dessinées et effectué des travaux de conseil pour diverses organisations.
Pour notre organisation, les bandes dessinées et les graphiques résument le type de messages que nous souhaitons diffuser en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs. Les bandes dessinées, sous forme de séries ou d’épisodes, captiveraient non seulement l’esprit des jeunes et les inciteraient à continuer à suivre les histoires pour voir ce qui est arrivé aux différents personnages auxquels ils s’identifient, mais elles rendraient aussi le tout amusant.
« … Ainsi, [les bandes dessinées] ne sont pas seulement un moyen pour les jeunes d’accéder facilement à des informations factuelles sur la santé sexuelle et reproductive, mais aussi un outil pour les jeunes afin de savoir qu’ils ne sont pas les seuls à vivre de telles expériences, et que ces expériences ne définissent pas le genre de personnes qu’ils sont dans le monde. »
Brigitte : [Pour] le processus de création des épisodes de Youth Scroll Lock, nous travaillons avec plus de huit jeunes… nous avons une équipe de scénaristes, une équipe de dessinateurs, un coloriste et un graphiste, ainsi qu’un concepteur Web ou un rédacteur Web. L’histoire vient de l’équipe. Nous décidons du sujet que nous défendons pour ce mois-ci. Et à partir de ce sujet, nous déciderons quels personnages nous aurons, combien de pages le magazine devrait avoir, quelles organisations nous devrions contacter pour financer la publication de ce magazine spécifique. Comme d’habitude, le chef d’équipe, c’est-à-dire moi-même, assume le rôle de mobilisation des ressources pour s’assurer que nos publications sont déjà sur place et partagées.
Le reste de l'équipe… conçoit les storyboards. C'est là que nous nous réunissons immédiatement et éditons tout pour décider de la manière dont l'histoire se déroulera. Après cela, le tout est partagé avec un graphiste qui fait les mises en page graphiques. Nous avons un PDF que nous publions sur notre site et si nous avons un partenaire spécifique pour cet épisode, nous partageons les brouillons avec lui pour qu'il y ajoute ses propres contributions ou donne son avis.
Ce qui fonctionne bien dans notre programmation et notre création… c’est le fait que nous impliquons différents jeunes, notamment dans la création du contenu spécifique, en regardant leurs compétences spécifiques ou différentes qu’ils apportent à l’équipe.
Brigitte : [L’une des] questions que nous nous posons est de savoir comment nous pouvons garantir que les informations sont à la fois exactes et intéressantes pour nos différents publics. Bien sûr, avec le développement de contenu et son coût, nous ne pouvons pas créer d’épisodes sur mesure pour les différentes tranches d’âge. Nous veillons donc à ce que notre contenu soit non seulement factuel, mais également facilement lisible par tous, quelle que soit la tranche d’âge.
Nous examinons également comment nous pouvons rendre notre contenu plus interactif, plus pertinent et plus amusant, en particulier pour les jeunes, car ils constituent notre principal public… notamment en changeant leur état d’esprit en ce qui concerne la prise au sérieux de leurs choix en matière de santé sexuelle et reproductive.
Nous nous posons également des questions sur les plateformes et les formats qui peuvent être plus efficaces pour atteindre différents publics. Si nous souhaitons partager des informations spécifiques avec les écoles, nous travaillerons avec les responsables des écoles pour nous permettre de mettre en place des programmes de sensibilisation, car en Ouganda, les élèves ne sont pas autorisés à avoir de téléphone [dans les écoles]. Ils pourront donc accéder à la bande dessinée Youth Scroll Lock via un programme de sensibilisation que nous menons pour lire l’épisode spécifique. Ou bien ils disposeront d’un délai, probablement le vendredi, pendant lequel les clubs pourront diffuser les informations que nous produisons.
Dans le contenu que nous créons sur la santé et l’hygiène menstruelles, nous tenons également compte des sensibilités culturelles et sociales. Par exemple, dans la région de Rwenzori, la santé menstruelle et tout ce qui touche à la santé reproductive des femmes suscitent divers sentiments. La santé menstruelle est considérée comme quelque chose d’impur ou de malédiction, une expérience qui ne doit pas être exposée au monde extérieur. [Nous réfléchissons à] comment nous pouvons concevoir des histoires et des épisodes qui non seulement brisent les barrières des expériences culturelles dures et néfastes, mais qui font également intervenir des personnages [culturellement pertinents]. [Dans] l’un des épisodes [par exemple]… nous avons non seulement fait appel à des agents de santé, mais aussi à des guérisseurs traditionnels [dans le scénario]. … [Nous mettons en lumière] comment la culture et la médecine avancée peuvent affecter la santé reproductive d’une femme.
Brigitte : Pour avoir un impact sur la communauté, l’une des raisons spécifiques pour lesquelles nous menons nos programmes de sensibilisation et de plaidoyer, nous examinons les lacunes en matière d’éducation à la santé menstruelle au sein de nos communautés que nous aimerions combler et la meilleure façon de collaborer avec les écoles et les organisations locales pour combler ces lacunes.
Nous étudions les ressources et le soutien dont les enseignants ont besoin pour enseigner efficacement les programmes d’hygiène et de santé menstruelles. Nous travaillons en étroite collaboration avec les responsables d’établissements scolaires, les parents et les associations de parents d’élèves, afin de nous permettre de financer ou de soutenir la diffusion de programmes de sensibilisation à la gestion de l’hygiène et de la santé menstruelles dans leurs espaces respectifs.
L’une des façons dont l’équipe du Girl Potential Care Centre priorise les activités de programmation et veille à être à l’écoute des besoins de notre communauté consiste, tout d’abord, à organiser des groupes de discussion qui nous permettent de réaliser des enquêtes régulières auprès de différents segments de jeunes de la communauté. … Nous participons également à des réunions de discussion au niveau du district et à des réunions de discussion trimestrielles au cours desquelles nous partageons ces informations spécifiques et appelons les parties prenantes à les soutenir dans la défense ou la création de messages de plaidoyer pour s’attaquer à ces problèmes spécifiques. Nous suivons les tendances en matière de santé et de droits sexuels et reproductifs qui suscitent l’attention et nécessitent une attention accrue en fonction des commentaires de notre communauté. Nous examinons également les tendances nationales en matière de santé qui se produisent dans d’autres communautés.
L’une des choses qui nous a permis de maintenir nos programmes est la collaboration et les partenariats avec les parties prenantes. … Nous travaillons en étroite collaboration avec les écoles, les organismes de santé locaux et les dirigeants communautaires pour aligner notre programmation sur les besoins réels de la communauté.